Stéphane Pajot, journaliste et écrivain

C’était en 1999 et le livre Per­son­nages Pit­toresques de Nantes et de Loire-Atlan­tique sor­tait tout juste aux édi­tions D’Orbestier. Xavier Armange, l’éditeur, m’avait dit ban­co pour ce pro­jet édi­to­r­i­al, une série de petites gens, des por­traits d’hommes et de femmes de Nantes, tombés dans les oubli­ettes d’un siè­cle évanoui que seules quelques rares cartes postales avaient immor­tal­isés. Les Sœurs Amadou, chanteuses de rues, La Bouil­lotte, l’ogre bro­can­teur, le Père Zim Zim, sa vielle à roue chevil­lée au corps, l’acrobate Willy Wolf ou Gobe Lune, men­di­ant céleste dont le tor­ti­co­l­is per­pétuel ori­en­tait son vis­age vers les astres, noir­cis­saient les pages de cet ouvrage. J’étais ravi d’être allé au bout de cette aven­ture au terme de deux ans de recherch­es. Out­re la presse locale, une chronique dans Le Canard Enchaîné vint couron­ner ce tra­vail. Mais il y avait un hic dans le chem­ine­ment de l’après-publication. La dédi­cace en pub­lic. Une han­tise ! La librairie Coif­fard m’attendait de pied ferme. Un same­di après-midi. J’en étais malade. Me retrou­ver en ces lieux sacrés, boisés, peu­plés d’écrivains et de fan­tômes, me parais­sait injouable. J’en fis des cauchemars avec la boule au ven­tre. Au télé­phone, l’éditeur me récon­for­ta d’un : «Une sig­na­ture c’est comme la pre­mière gorgée de mus­cadet, après ça coule tout seul, les gens seront con­tents de te ren­con­tr­er». Juste­ment. Les gens. Le salut vint d’un bistrot, La Per­le. Rue du Port-au-Vin, ancré à deux mètres de la librairie Coif­fard. C’est ici que nous refai­sions le monde avec une arma­da d’escogriffes. Le jour J, à quinze min­utes de l’heure de la dédi­cace, Lolo, le patron, dégaina l’arme magique.

—     Un petit mus­cadet Stef, ça va te motiv­er pour la dédicace ?

Ce n’était pas une ques­tion. La pre­mière gorgée. Et après, ça va tout seul. Je quit­tai le bistrot dix sec­on­des avant l’heure fatidique. J’entrai dans la librairie.

—     On vous attend au fond.

Ce fut la seule phrase du libraire que je retins en me frayant un pas­sage près d’une petite file d’attente jusqu’à une table ronde.

—     J’ai bien con­nu la Bouil­lotte, il ramas­sait les bal­lons per­dus au stade Saupin, me dit un homme d’une soix­an­taine d’années, tan­dis que je m’asseyais, fébrile, entouré de paires d’yeux et de sourires incon­nus. Mer­ci de m’avoir rep­longé dans mon enfance. Je m’appelle Michel, tenez…

Il me ten­dit son livre déli­cate­ment. La route incon­nue d’une pre­mière dédi­cace s’ouvrait. J’écrivis.

«À Michel. Au bon sou­venir de la Bouil­lotte, aux bal­lons per­dus, à ceux et à celles que les livres d’histoire ont lais­sé de côté. »

J’étais dans le grand bain. À la librairie Coif­fard, j’y suis retourné à chaque  nou­veau livre. Tou­jours accueil­li avec bien­veil­lance. Non sans une étape oblig­a­toire à La Per­le. Le préam­bule. Le sas. La pré­face à la dédicace. 

(tex­té écrit pour l’ou­vrage Le Siè­cle de Coif­fard)

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